Les mini-sculptures de Laura Essayie

Les pièces minimalistes et sculpturales de la créatrice de bijoux Laura Essayie me plaisent beaucoup. On imagine immédiatement la réflexion poussée qui a précédé la création de ces bijoux qui pourraient sembler si simples et spontanés. Chaque pièce explore les possibilités de la ligne, ses mouvements et ses limites physiques. Le geste est ample et maitrisé. Laura revisite l’architecture du bijou, elle remet les formes traditionnelles en perspective pour concevoir des mini-sculptures à porter. Ses outils traditionnels de bijouterie sont au service de ses recherches. C’est avec enthousiasme et curiosité que j’ai posé les questions qui suivent à Laura Essayie.

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© Emile Kirsch

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Je suis créatrice de bijoux ayant grandi à Paris et vivant maintenant aux Pays-Bas.

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© Laura Essayie

Comment a démarré cette passion ? 

Au moment du choix de mes études, j’ai réalisé que cet attrait pour le bijou remontait à mon enfance. J’ai toujours su que, plus tard, j’aimerais manipuler, fabriquer, explorer le monde de l’art. Mais par quel medium? En découvrant l’atelier du Diplôme des Métiers d’Art Sculpture appliqué au Métal, à l’ENSAAMA Olivier de Serres à Paris, les odeurs, les matières, les machines et les bruits m’ont tout de suite happées. J’ai alors pris conscience que grandir en observant mon oncle dans son atelier, travaillant le fil d’argent pour réaliser des bijoux d’une simplicité sublime, m’avait fascinée et que c’était de cette vie dont j’avais envie.

Ramiro Gomes Monteiro © Laura Essayie

Comment définissez-vous votre pratique et votre univers ? 

Je dessine et réalise seule une collection de bijoux que je conçois comme de petites sculptures à porter. Je n’ai pas choisi d’entrer dans cette voie par la porte du bijou mais par celle de la sculpture. Ce qui m’intéresse c’est de penser le bijou comme l’échelle réduite d’une sculpture, non pas comme une forme archétypale, celle d’un anneau serti d’une grosse pierre par exemple. Les pièces de ma collection sont en argent massif ou laiton doré. Et je suis très attachée aux techniques traditionnelles. Mon atelier est rempli d’outils et de petites machines à main pour me permettre de fondre la matière première, de fabriquer mon fil, sculpter la forme, et la polir.

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© Laura Essayie

Quand et comment avez-vous décidé de lancer votre activité ? 

Après mon diplôme, j’ai voulu étendre mes connaissances techniques et mon imaginaire. Pour ce faire, j’ai choisi d’assister des joailliers, designers et artistes pendant 2 ans, à Paris, Berlin et aux Pays-Bas. Après ces expériences très riches, j’ai commencé à développer ma propre collection et à la vendre autour de moi. C’était en 2015.

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© Annabelle Tieffay

Quand avez-vous créé votre première pièce ? Qu’est-ce que c’était ? 

Pendant mes études. C’est difficile d’être sûre de “LA” première pièce mais je faisais des recherches à cette époque sur des formes très géométriques et angulaires. J’avais envie de réaliser un bracelet, qui, une fois posé sur l’établi, serait plus identifiable à une sculpture qu’à un bijou. La manière de le porter devait être énigmatique. Est né le modèle Crowned in White.

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Crowned in White © Laura Essayie

Quel est votre processus de création habituel (moodboard, croquis…)? 

J’ai une série de carnets de croquis que je remplis année après année. J’en ai toujours un avec moi quand je vais en vacances, ou que je prends le train, par exemple. Je tourne les pages déjà dessinées et en les regardant, de nouvelles idées viennent. Mais c’est surtout quand je ne pense pas du tout au bijou, que mon esprit se vide, qu’une idée surgit dans mon esprit. Parfois, je ne la dessine même pas. Je m’imagine que si l’idée est assez forte, elle restera dans ma mémoire jusqu’à mon prochain moment libre à l’atelier. Donc dans beaucoup de cas, je passe directement de l’idée au modelage du métal, sans passer par le dessin.

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Alicia Linden © Margaux Gayet

D’où vient votre inspiration? 

Je peux l’analyser a posteriori, mais je ne cherche pas l’inspiration. À plusieurs reprises, après avoir réalisé un modèle qui avait surgit dans mon esprit, je l’ai vu sous une forme lointaine dans la rue, dans le mobilier urbain, dans les balustrades d’un pont ou le mouvement d’un banc public. J’évite de regarder le travail d’autres bijoutiers parce que certaines créations peuvent me sembler si parfaites que je regrette de ne pas les avoir penser. 

© Laura Essayie

Vous venez d’une famille de bijoutiers, comment perceviez-vous ce métier durant votre enfance ? 

Quand j’étais enfant, le bien-être que je ressentais, assise dans l’atelier de mon oncle, n’était pas forcément lié au bijou. Ce qui m’a profondément inspiré c’est le mode de vie qui accompagnait ce métier, la manière dont mon oncle l’exerçait. Il était libre d’aller et venir, de choisir quand il voulait fabriquer un bijou, ou d’aller pêcher sur son bateau. Des gens de tout univers et nationalités s’arrêtaient dans son atelier. C’est exactement la vie dont j’ai eu envie. Et celle que je vis en croisant les doigts pour que ça dure. 

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Louise Foussat © Emile Kirsch

Vous évoquez parfois des influences orientales et scandinaves autour de vous, comment se manifestent-elles dans votre travail ? 

Les grands-parents de mon père étaient irakiens. C’est une culture que je connais très peu mais qui est de l’ordre du mythe. Je me souviens de quelques photos de personnages familiaux extravagants, certains mots que j’ai toujours entendu et dont la sonorité me plaisait. Il y a également mon nom de famille, qui est une contraction du très long patronyme de mes arrière-grand-parents. Voici le peu de choses qui me rattache à cette culture, mais je les garde précieusement dans mon imaginaire.

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Alicia Linden © Margaux Gayet

Le côté scandinave est un lien indirect mais puissant. J’en reviens toujours à mon oncle, Denis. Il s’est formé au bijou dans les années 60, auprès d’une femme sublime au talent unique : Vivianna Torun Bulow. Suédoise, elle est venue s’installer dans le petit village du sud de la France où mon oncle vivait. Elle y a appris, à un petit groupe, son art du bijou moderniste, le travail du fil d’argent, un style organique et sculptural loin du bijou traditionnel mais conçu pour rester simple. Elle intégrait des galets de la plage à ses boucles, disant toujours que ces pierres polies par les vagues valaient les plus beaux diamants du monde. Je suis héritière de cet esprit.

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© Emile Kirsch

Photos : © Laura Essayie, © Émilie Kirsch, © Margaux Gayet, © Annabelle Tiaffay. Couverture : © Laura Essayie. Photographies fournies par Laura Essayie et publiées avec son autorisation.