Aline Kokinopoulos est la créatrice d’Aline K Bijoux.  Née au Sénégal et d’origine grecque, elle travaille depuis vingt cinq ans autour de trois thèmes principaux : la nature, l’architecture et la mer. Amoureuse du Sud de la France et de l’Italie, Aline crée des bijoux complexes et colorés, d’une finesse époustouflante.

© Aline K Bijoux. SIte L'Envers du Décor www.lenvers-du-decor.com

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots?

Je m’appelle Aline Kokinopoulos, je suis créatrice de bijoux depuis 25 ans. Je n’ai pas fait d’école classique de bijouterie. J’ai fait une école d’arts plastiques dans le sud de la France créée par des professionnels qui sont encore en activité.

Dans cette école, on appréhendait le bijou comme de la sculpture. On faisait des projets et, à travers eux, on apprenait la technique. Ça donne une certaine liberté et aucun jugement de la part des enseignants. J’ai fait deux ans d’école. J’ai ensuite fait une coupure, je suis partie travailler en Afrique. J’ai travaillé avec des bijoutiers sénégalais, avec tout ce qu’on pouvait trouver sur place : du bois, du métal recyclé, un peu d’ivoire, des perles africaines, du fil de nylon…tout ce qui me tombait sous la main.

Quand je suis revenue, vers 24-25 ans, l’école avait déménagé à Nîmes. J’ai refait une année de recherche avec les mêmes enseignants. À la suite de ça, je me suis installée à  Marseille, en tant que professionnelle. Au début, j’ai vraiment créé comme j’ai pu, je travaillais avec des boutiques, j’ai beaucoup monté des minéraux. Ça m’a appris pas mal de choses. Je me suis ensuite inscrite aux Ateliers d’art de France et j’ai commencé à faire des salons et à pouvoir rencontrer des professionnels. On bascule alors dans autre chose : le rendement, les collections… On perd un peu sa substance et les gens veulent qu’on soit rentable. C’est quelque chose de dommageable.

Parallèlement, je fais beaucoup d’expositions, j’aime beaucoup travailler sur des thèmes avec l’Italie. Je fais partie d’une association en Italie qui a été créée par une jeune femme. J’ai fait une exposition sur l’Art nouveau. Environ deux fois par an, pendant la foire de Vicenza, elle occupe un lieu qui s’appelle Le Palakiss et présente le travail de l’association Gioiellodentro. On a ensuite des parutions dans les magazines en Italie. Je travaille aussi avec des galeries comme les Ateliers d’art de France à Paris et j’ai des clientes très fidèles.

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Comment définiriez-vous votre univers de création?

On trouve généralement mon travail fin. Je travaille par thématique : la nature, l’architecture et la mer. C’est tout ce qui m’entourait quand je vivais à Marseille. Je me suis rendue compte tardivement, en communiquant avec des créateurs de bijoux grecs, que je retrouvais tous mes bijoux chez eux. Je ne sais pas si c’est dans les gènes!
Je vais de plus en plus dans le bijou fin avec des détails. J’aime également avoir beaucoup de choses diverses. Il ne faut pas que les gens, en entrant dans une boutique, se disent qu’ils voient toujours les mêmes bijoux. C’est pour cette raison que j’ai fait une coupure professionnelle, je n’arrivais plus à faire de nouveaux modèles. Je veux que la prochaine fois, les gens soient surpris. J’ai envie de faire passer de la poésie dans mon travail.

Quand avez-vous décidé de lancer votre activité?

En sortant de mon école. Lorsque j’ai commencé à commercialiser mes pièces avant d’être vraiment une professionnelle. Quand je suis rentrée à Marseille, mon nom était trop compliqué pour les gens donc, très rapidement, je me suis fais connaître en utilisant mon prénom et la première lettre de mon nom. Aline K Bijoux est venu comme ça. Il faut impérativement avoir un signe de reconnaissance, c’est basique. Nous sommes trois à faire des bijoux architecture en France. J’ai sous les yeux un bijou de Jean Boggio que je viens d’acquérir et j’aimerais bien, un jour, être aussi connue mais nous ne sommes pas dans la même sphère !

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Comment a démarré cette passion pour le bijou?

À mes 16 ans, je vivais alors en Afrique et, un jour, ma mère m’a emmenée chez deux bijoutiers cap-verdiens. Je les ai regardés travailler pendant très longtemps et, en rentrant, j’ai dit à ma mère que je voulais faire du bijou et elle était d’accord mais je devais d’abord passer mon bac. Je me suis renseignée à Paris, il y avait moins de formations à l’époque. On n’était au courant de rien. On m’a proposée un stage qui coûtait entre 10 et 15 000 francs l’année. Ce n’était pas possible. Je suis restée axée sur mon idée de bijou même après mon bac. Je voulais faire ce métier. J’ai fait un an de dessin à Paris et ensuite,  je suis tombée sur cette école pluridisciplinaire dans le sud de la France. C’était parfait car je pouvais me rapprocher du sud!

Il y avait donc des enseignants et plusieurs ateliers :  bois, textile, métal et terre. On pouvait sauter d’un atelier à l’autre. J’étais dans l’atelier métal avec cette option bijou. Mon maître d’apprentissage était Gilles Jonemann, il ne travaille que sur des matériaux naturels. Il travaille avec des graines, de la rouille, etc . Je me suis plus axée sur le métal car c’était mon pécher mignon. J’aime bien me battre avec le métal. Les premiers temps, je faisais beaucoup de bijoux en bois. Je n’ai pas eu de diplôme puisque mon école n’était pas agréée. Il y a une dizaine d’années, j’ai passé une validation des acquis, j’ai passé mon BMA et ça m’a permis pendant quatre ans, d’être enseignante à Marseille. J’ai enseigné à des Greta. Ça m’a également permis de me recarder d’un point de vue technique. Quand on est enseignant, il faut être carré au niveau technique. C’était une bonne chose.

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Vous souvenez-vous du tout premier bijou que vous avez créé?

Oui, c’était un anneau, mon premier exercice de soudure. Je l’ai depuis 25 ans, c’est un cercle soudé sur un anneau en équilibre. C’est un bijou très bizarre mais il est portable! C’était très géométrique au début.

Qu’avez-vous ressenti?

J’ai toujours su que je voulais faire ça, depuis cette expérience à mes 16 ans. Je vous assure que si je n’étais pas passionnée, ça ferait longtemps que j’aurais arrêté!

J’ai failli arrêter il y a quelques mois, j’ai cherché un travail et voyant que je n’arrivais pas à trouver, je me suis dis que c’était quand même dommage. Beaucoup de mes clients m’ont envoyé des petits emails en me disant que je ne pouvais pas arrêter. C’est très compliqué au quotidien mais viscéralement, je suis bijoutière. Je ne peux rien y faire.

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Premier bijou d’Aline / First jewel made by Aline


Comment fonctionne votre processus de création?

Pour tout ce qui concerne les fleurs, je travaille à partir de formes naturelles, j’ai un herbier à la maison.  Je cueille mes fleurs, je les dessine en petits croquis ou je fais des aquarelles. Ensuite, je les déchiquète en gros et j’analyse toutes les petites feuilles. J’ai des cahiers dans lesquels tout est scotché avec des fleurs en taille réelle. Après, je les reproduis en tout petit. Puis, c’est tout un travail de découpe. Pour les oursins, ce sont des moulages que j’adapte ensuite. Il y a aussi les architectures. Si c’est une commande,  ça va passer par un dessin, le choix des pierres, le volume… Ce seront des dessins très académiques car il faut que le client ait vraiment une vision de la pièce. A la base, c’est mieux de travailler sur un processus de dessin, même mauvais, comme ça on a les idées. Je peux toujours la retailler. Toutes mes bagues architecture qui sont creuses passent automatiquement par des dessins sur papier millimétré parce que je ne peux pas découper le métal à l’improviste. Une fois que le métal est coupé, il est coupé. Ce n’est pas comme de la terre où on peut en rajouter.

Pour les architectures, vous inspirez-vous de vraies villes?

Ca dépend. J’ai une bague qui s’appelle Ca’d’Oro, je suis donc partie des dessins du palais vénitien. Je m’inspire beaucoup de photos mais pour une ou deux bagues, je suis juste partie du nom et de la résonance que donnait le nom de cette ville au fond de moi. On avait fait une exposition il y a deux-trois ans à Paris avec une amie sur les villes invisibles, ce livre d’Italo Calvino, où Marco Polo raconte toutes les villes croisées qui portent un nom de femme. Nous étions parties de cette idée avec mon amie Suzanne. On avait pris des extraits du livre pour égayer notre exposition. J’adore quand les gens viennent prennent une de mes bagues Venise et me disent que c’est vraiment Venise. J’ai des clientes qui ne savent pas expliquer pourquoi elles vont plutôt vers une ville qui s’appelle Babylone ou autre mais elles me disent que quelque chose se passe. La bague architecture réveille quelque chose en nous. Je pense qu’à un moment, pour porter un bijou et pour pouvoir l’acquérir, il faut qu’il soit facile à porter. Je ne crois pas du tout au pouvoir des pierres mais si quelqu’un peut acheter un bijou qui, lorsqu’il le regarde lui fait quelque chose, c’est parfait! Je galère comme une malade donc mission accomplie.

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Vous parliez précédemment de vos balades pour trouver des fleurs, est-ce là que vous allez principalement chercher votre inspiration?

Oui, j’ai eu des plantes partout chez moi, un peu moins maintenant. Un de mes frères est fleuriste donc il me donne des fleurs pour que j’essaye différentes choses. C’est très compliqué au niveau des fleurs parce que la nature fait des choses alors qu’avec le métal, ça nous résiste. J’essaie de faire un lys gloriosa mais je vais y passer une éternité. Je passe du temps à la campagne, je cherche des fleurs partout. J’ai récolté pas mal de choses ces derniers temps, des végétaux secs que j’ai fait mouler.

Je regarde tout ce qui peut m’intéresser. Internet nous aide beaucoup, mais ça nous met également des bâtons dans les roues car on tombe parfois exactement sur ce qu’on vient de faire sur internet. Il ne faut pas penser qu’on est le seul à faire ce qu’on fait. La différence est dans la manière dont on le fait.

J’ai vu un avocat dernièrement concernant les bijoux oursin et il m’a dit que je ne pouvais pas déposer le modèle. Je n’y tenais pas mais j’ai un souci avec une créatrice qui m’a fait beaucoup de préjudice. L’avocat m’a dit qu’un moulage d’oursin en serait toujours un, c’est la manière dont on le travaille après qui fait le bijou. Il y a la main du créateur. C’est un sujet compliqué mais quand les créateurs sont intelligents entre eux, ça se passe bien. Le milieu du bijou contemporain est très petit en France, et c’est très féminin, c’est un peu compliqué.

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Comment définiriez-vous le rapport des sénégalais avec le bijou?

Il y a deux mouvements au Sénégal. À la base, la femme sénégalaise ne porte que de l’or, des couleurs et des bijoux volumineux, en tout cas, c’était comme ça quand j’étais enfant. Il faut se montrer. Pour elles, l’or est aussi un placement. Maintenant, elles ont beaucoup abandonné leurs bijoux traditionnels pour porter des bijoux plus européens.
Il y a également une deuxième tendance avec beaucoup de bijoux en argent qui ne sont pas souvent fabriqués par des bijoutiers sénégalais mais plutôt par des bijoutiers peuls, mauritaniens, qui ont plus cette technique de l’argent. Quand j’étais enfant, ces bijoux étaient très beaux, très finis, créatifs et ils se sont laissés influencer par les goûts occidentaux. Le bijou est moins beau qu’avant, c’est de la mauvaise copie de bijou occidental. C’est très triste et il y a aussi beaucoup d’arrivages de bijoux en or censés être 22 carats. Beaucoup de boutiques vendent de l’or désormais mais on ne sait plus si c’est de l’or, du laiton doré….
Il y a aussi beaucoup de petits bijoux du Mali, des copies de bijoux en or fabriqués avec du recyclage. Les grosses boucles d’oreilles du Mali en or ou autre sont reproduites en terre et ils les peignent. C’est très intéressant, j’aime beaucoup les bijoux en matériaux recyclés, c’est très beau.

Pour lire la suite : > Aline K Bijoux – 2/3 Savoir-faire

© JC. Lett SIte L’Envers du Décor www.lenvers-du-decor.com

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Photos : © Aline K Bijoux sauf mention © JC. Lett. Photographies fournies par Aline Kokinopoulos et publiées avec son autorisation.