Marine Cauvin est sculpteur ornemaniste et tourneur d’art sur bois. Chez Marine, la création de bijoux a commencé par souci pratique et s’est progressivement transformée en évidence. Son terrain de jeu était tout trouvé.
Son approche est résolument contemporaine, elle sublime des éléments naturels récoltés au gré de ses promenades. Voici un petit tour d’horizon de son travail.

© Christine Réfalo. Site L'Envers du Décor www.lenvers-du-decor.com


© Christine Réfalo

Pouvez-vous vous présenter?

Je m’appelle Marine Cauvin, j’ai 31 ans et je fais des bijoux depuis six ans. Je me suis lancée de manière autodidacte. Je vis sur une île, Belle-île-en-mer.

© Fabien Guiraud. Site L'Envers du Décor www.lenvers-du-decor.com


© Fabien Guiraud

Comment définissez-vous votre univers?

Je travaille avec ce que je ramasse, mon univers créatif est donc lié aux matériaux naturels, aux récoltes, aux saisons, à ce que je glane et à ce qu’on me ramène. C’est une approche un peu particulière car c’est vraiment en fonction de ce que je trouve.

J’ai une formation dans le bois, je suis sculpteur ornemaniste. Ça concerne tout ce qui est bas relief sur le bois (meubles, frontons d’églises…). Je détourne des techniques de bois pour le bijou. Il n’y a quasiment plus aucun débouché dans la sculpture d’ornements, j’ai essayé pendant un temps mais j’ai fini par renoncer à l’idée d’être sculpteur ornemaniste. Je fais encore quelques sculptures pour moi.

J’aimerais bien faire évoluer les choses en faisant, par exemple, des bijoux un peu sculpturaux qui soient un peu comme des talismans, des pièces particulières. Je ne continuerai pas la sculpture dans le domaine classique. Par contre, sur les bijoux, c’est exactement le même travail de sculpture, je me sers de mes gouges. Il y a un gros travail de sculpture,  je ne fais quasiment rien avec des outils électriques. Ce sont vraiment des techniques qui sont propres au bois : la sculpture, la gravure et la dorure à la feuille.

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© Fabien Guiraud

Comment avez-vous lancé cette activité autour du bijou?

Ça a été très long pour en arriver là. J’ai terminé mes études dans le bois en 2004 et j’ai cherché un travail dans ce domaine pendant un moment. Il y avait très peu d’annonces et ils cherchaient des personnes avec plus d’expérience. J’ai fini par renoncer.

J’ai ensuite travaillé pendant six ans avec des personnes handicapées mentales comme animatrice de loisirs créatifs. Il s’agissait d’ateliers en tout genre : dessin, recyclage, etc. C’était une approche totalement différente. De fil en aiguille, je me suis dit qu’il serait bien d’être formée pour travailler avec ce public.  J’ai passé des concours pour être monitrice éducatrice que j’ai eu mais la veille de rentrer en formation, j’ai compris que ça n’allait pas être possible. Il y avait quelque chose au niveau du travail manuel, au niveau de la création et de l’expression qui n’allait pas me convenir à long terme.

J’ai décidé de ne pas y aller et je me suis mise à bricoler juste pour retrouver le lien avec les mains, voir ce que je pouvais faire, etc. Les bijoux, c’est finalement presque par dépit, je me suis dit que c’était facile, petit et qu’il était tellement plus simple de s’acheter un petit bijou plutôt qu’une peinture ou une sculpture. Petit à petit, j’ai réalisé tout ce qu’offrait le domaine du bijou. Et désormais, c’est vraiment une évidence. Tout ce chemin était pour arriver au bijou. Ce n’était pas une passion, ce n’est pas venu tout seul du jour au lendemain. Je n’ai pas vu quelqu’un faire et je ne me suis pas dit que c’était pour moi.  C’est un cheminement, quelque chose qui s’est fait petit à petit.

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Avez-vous fait des formations ou vous êtes complètement autodidacte?

L’année dernière, j’ai fait une petite formation pour apprendre à souder surtout dans l’optique de pouvoir fabriquer des apprêts moi-même pour mieux servir le matériau naturel. Les apprêts qu’on achète tout faits ne sont pas toujours faciles à utiliser, c’est très vite contraignant. Je n’ai pas encore tellement mis en pratique cette formation car ça demande un peu d’investissement financier et logistique à l’atelier. J’ai également rencontré de chouettes créateurs qui m’ont donné des conseils. En dehors de cette petite formation de 15 jours en soudure, j’ai tout bricolé toute seule. Au début, c’était un carnage. Ce qui est très chouette, c’est d’arriver à mettre en place techniquement ce qu’on a dans la tête. Ensuite, ça ne marche pas ou ça ne plaît pas forcément mais, en tout cas, trouver les moyens, les feintes pour y arriver est gratifiant, on obtient le résultat auquel on pensait.

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Comment avez-vous réussi à entrer dans ce milieu professionnel?

Ça n’a pas été évident et ça ne l’est toujours pas. J’avais un petit atelier avec mon compagnon qui est céramiste, dans un petit village du Gard qui s’appelle Saint Quentin-la-Poterie et qui est vraiment un village de céramistes.

Un jour, Françoise (qui gère la boutique de bijoux de créateurs «Éclats dame» à Paris) est passée par hasard à l’atelier. J’ai eu beaucoup de chance. Elle a aimé mon travail et elle a décidé d’essayer de le vendre. C’est la première qui m’ait fait confiance pourtant, ce n’était pas gagné car c’était le début!

Ensuite, le gros coup de pouce a été avec les Ateliers d’art de France. Je suis adhérente depuis trois ans et ça a été un vrai tremplin. J’ai pu avoir accès à des salons publics, à leurs différents lieux de vente, galeries, etc. C’est un réseau qui est hyper intéressant. Même si je n’étais pas dans le créneau du savoir-faire commun j’avais quand même cette formation en bois qui rentre dans les critères de sélection.

© Anthony Girardi. Site L'Envers du Décor www.lenvers-du-decor.com


© Anthony Girardi

Vous souvenez-vous du tout premier bijou que vous avez créé?

Je me souviens des premiers bijoux que j’ai fait mais je me souviens surtout du premier bijou qui a fait sens. C’est venu assez rapidement avec les cupules (chapeaux de glands). Au début, j’ai beaucoup bidouillé, j’ai fait des assemblages fantaisie. Il y avait toujours un petit bout de bois, une plume ou un autre élément naturel mais rien de très élaboré. Un jour, j’avais des cupules de glands en mains et j’ai vraiment senti qu’il y avait quelque chose à faire. Cette forme de coupe est vraiment magnifique. J’ai eu envie d’essayer de mettre de la dorure à l’intérieur. Au moment où je l’ai fait, j’ai compris que c’était ça! Il fallait que j’arrive à me servir de mes techniques du bois. La dorure à la feuille est merveilleuse car elle rend n’importe quoi précieux. La dorure est un fil conducteur car c’est une manière de rendre accessible les matériaux que je ramasse. J’ai vu le chemin s’ouvrir. Je pouvais concilier le bois, ce que je ramassais, la nature en règle générale et les bijoux. C’était une révélation et en même temps, ça se fait depuis la nuit des temps.

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© Christine Réfalo

D’où vient votre inspiration?

La nature n’est pas une source d’inspiration, c’est la source. Je suis très sensible aux arts premiers, aux ethnies minoritaires, à tout ce qui se fait en bijoux : les parures, le côté sacré que peut avoir le bijou dans les rites et dans l’appartenance à une tribu. Tout ce qui peut évoquer l’affirmation d’une singularité.

À côté de ça, je suis une fanatique du bijou contemporain. En France, on commence à avoir un peu plus de succès mais en Europe du Nord, il y a des choses incroyables. C’est une vraie forme d’art reconnue. D’un côté, il y a cette attirance pour tout ce qui est très archaïque, le sens que le bijou peut prendre pour une personne (les ethnies minoritaires et les arts premiers) notamment parce que les matériaux sont les mêmes que ceux que j’emploie. De l’autre côté, c’est le contraire, j’aime ce qui se fait de plus novateur.

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© Christine Réfalo

En France, le statut du bijou est moins affirmé et clair que dans d’autres pays, peut-on dire qu’il est encore considéré comme de l’artisanat plutôt que de l’art?

Après réflexion, l’art de se parer était l’une des premières formes d’art chez les hommes. Désormais, il y a toutes les dérives des sociétés de consommation. On est tellement dans l’accumulation qu’on ne voit plus que le bijou est une forme d’art comme la haute couture. En France, ce n’est pas encore gagné.

Les Ateliers d’art de France ont fait un énorme travail d’information et de valorisation de ces métiers.

Pour lire la suite : Marine Cauvin – 2/3 Savoir-faire

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Photos : © Christine Réfalo, © Anthony Girardi, © Fabien Guiraud . Photographs provided by Marine Cauvin and published with her approval. Cover : © Christine Réfalo .